Couleur, modes d'existence

Des publics non-humains ?

Des publics non-humains ?
Des imaginaires par-delà l’anthropocène

L’être humain a tendance à concevoir son environnement en fonction de ses propres perceptions et besoins. L’urbanisme, l’architecture, l’art, tout semble orienté vers une seule et unique audience : l’humanité. Pourtant, notre planète est peuplée d’une multitude d’êtres vivants dotés de sensibilité, interagissant avec le monde à travers des systèmes perceptifs très différents des nôtres. Cette prise de conscience amène à une question intrigante: que pourrait être une forme d’art pensée pour les non-humains ?

Nous acceptons désormais que les plantes réagissent à la musique et que certaines fréquences sonores influencent leur croissance. Dans le domaine de la lumière et de la couleur, il en va de même. De nombreuses espèces perçoivent un spectre lumineux plus étroit ou plus étendu que le nôtre. Les abeilles, par exemple, sont sensibles aux ultraviolets, une partie du spectre qui échappe totalement à la vision humaine. Pourtant, l’évolution récente de l’éclairage public, notamment dans l’optimisation des LED pour la vision humaine et l’efficacité énergétique, a considérablement réduit la présence de ces longueurs d’onde. Cette transformation de notre environnement visuel engendre des conséquences directes sur la faune et la flore: certaines espèces deviennent partiellement aveugles dans nos villes, ce qui engendre des répercussions considérables sur leur alimentation, leur reproduction et d’autres fonctions vitales.

Si nous devions concevoir une ville non plus uniquement pour les humain·e·s, mais pour une pluralité d’êtres vivant·e·s, quelles formes prendraient l’urbanisme et l’art ? L’idée d’une peinture pour oiseaux ou d’une installation lumineuse perceptible par des insectes pourrait sembler étrange à première vue, mais elle s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’inclusion des non-humain·e·s dans nos productions culturelles et artistiques. À l’heure où l’anthropocentrisme est de plus en plus remis en question, l’art pourrait jouer un rôle fondamental dans la réinvention de notre rapport au monde, en intégrant les sensibilités et les perceptions des autres espèces. Serait-il temps d’imaginer une esthétique qui ne se limiterait plus aux seules limites du regard humain, mais qui explorerait la diversité des regards possibles sur notre monde ?



Untitled (Vénus à la fourrure)
Perception des couleurs par un humain comparée à celle perçue par une abeille


Untitled (Vénus à la fourrure)
Perception des couleurs par un humain comparée à celle perçue par une abeille


Untitled (Vénus à la fourrure)
Simulation de la vision d'une abeille comparée à celle d'un humain


Untitled (Vénus à la fourrure)
Simulation de la vision d'un papillon comparée à celle d'un humain


Untitled (Vénus à la fourrure)
Perception des couleurs par un humain comparée à des simulations de la perception des couleurs par un papillon, une abeille, un chien, un cheval et une chauve-souris



La grande illusion des Modernes a été de croire qu’ils pouvaient séparer les humains des non-humains, la société de la nature, le sujet de l’objet. En réalité, nous vivons depuis toujours dans un monde composite, tissé de mélanges d’humains et de non-humains, d’animaux, de techniques et de dieux. [...] Nous n’avons jamais été modernes : nous avons seulement cru à la fiction d’un monde où l’homme, par la raison et la science, aurait pris possession de la nature.

Les Modernes se sont définis comme ceux qui tracent des frontières : d’un côté les humains et la société, de l’autre la nature et ses lois. [...] Mais à mesure qu’ils ont séparé, ils ont produit des hybrides : climat, virus, océans plastifiés, satellites, marchés financiers.

La politique, si elle veut survivre, doit devenir un art de la composition : composer avec des êtres dont nous dépendons et qui dépendent de nous.

Il faut imaginer une diplomatie avec tous ces êtres. Non pas parler à leur place, mais parler avec eux.

Extraits de Bruno Latour dans :
Nous n’avons jamais été modernes, 1991
Enquête sur les modes d’existence, 2012
Où atterrir ?, 2017



Dans l'art contemporain :


Untitled (Vénus à la fourrure)
Adrien Lucca


Untitled (Vénus à la fourrure)
Adrien Lucca







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